Loading
MENU
Fiches pratiques

Questionner les chiffres et l’actualité

Cette fiche a pour objectif d’offrir les clés nécessaires à la compréhension des données chiffrées, toujours plus nombreuses dans l’espace médiatique. Quelles sont les différentes données que l’on peut rencontrer, comment sont-elles conçues et utilisées et quels sont les pièges à éviter ?

La construction sociale du chiffre. Comprendre qui produit pour comprendre le chiffre

Une donnée chiffrée permet de mettre l’accent sur un phénomène observée à partir d’un « langage » qui présente l’avantage d’être concis et, souvent, rapidement compréhensible. En outre, le caractère arithmétique du chiffre lui donne une efficacité apparente : il serait vrai, neutre, indiscutable. Le questionner, c’est s’opposer à la science.

La production des données

  • Les données sont pourtant le résultat d’un travail de production (collecte, codifications, traitements, etc.). Chacune de ces étapes n’est pas neutre quant à la donnée finalement présentée.
  • Utiliser une donnée chiffrée dans le débat public nécessite d’avoir recours à des conventions, soit une formulée partagée de mesure et de calcul. Si je veux mesurer la richesse d’un pays, c’est par exemple le PIB de celui-ci, et non le nombre de propriétaires ou de milliardaires, qui sera utilisé (avec toutes les imperfections de celui-ci …) ; pour approcher l’origine sociale, on peut utiliser les catégories socio-professionnelles. Il en va de même pour le chômage : plusieurs définitions coexistent, aboutissant à des mesures différentes.
  • On le voit, ces conventions sont loin d’être naturelles , et ce qui est valable dans un pays peut ne pas l’être ailleurs.
  • Il faut donc se demander ce que reflète cet indicateur / cette donnée, et ce qu’elle ne dit pas (pour reprendre l’exemple du PIB, la richesse d’un pays doit-elle seulement être appréhendée à travers cette donnée ?)

Les (principaux) producteurs de données

  • Il existe les instituts de la statistique publique : l’INSEE, mais aussi les services statistiques des différents ministères, des organismes certifiés (CEREQ ; INED ; etc.). Les données présentées sont fiables, mais elles ne sont pas neutres et ne décrivent qu’une partie (plus ou moins importante) de la réalité (cf. plus bas)
  • Les instituts de sondages sont aussi parmi les principaux pourvoyeurs de chiffres, notamment en période électorale. Un sondage consiste en l’interrogation d’une sous-population représentative d’une population dite d’intérêt.  C’est tout d’abord cette représentativité qu’il faut questionner : concerne-t-elle les jeunes en âge de voter ? uniquement la population active ?
  • Tout le monde (associations ; équipe de recherche ; etc.) peut produire de la données -plus ou moins fiables-, tout du moins avancer des données chiffrées : c’est pourquoi il est essentiel de regarder d’où viennent les chiffres énoncés, et comment ils ont été construits (sur la base de quels matériaux ? avec quelles méthodes ?).
  • Vérifier les sources est donc certes une étape (la première !) chronophage, mais indispensable. Avec le temps, on apprend aussi si tel producteur de données, ou telle personne qui présente des chiffres, est digne de confiance ou non.

Les données participent de la structuration des débats

  • Une des principales critiques adressées aux sondages est relative au critère de rationalité : les répondants sont invités à donner leur avis sur des sujets qui peuvent ne pas les intéresser / qu’ils ne maîtrisent pas / sur lesquels ils n’ont pas d’opinion (exemple : faut-il sortir de l’UE ?). Les sondages participent ainsi de la mise en avant de certains sujets.
  • De même, les sondages relatifs aux intentions de vote sont parfois accusés de créer des dynamiques de votes (favorables ou non), et ce alors que des groupes de personnes aux caractéristiques particulières sont peu interrogées, biaisant les estimations. Il est donc important d’être également attentifs aux marges d’erreur, et non aux seules valeurs énoncées, ainsi qu’aux non-réponses.
  • Les chiffres énoncés ne sont pas nécessairement faux, mais ils mesurent parfois une partie seulement de ce que l’on souhaite montrer. C’est par exemple le cas avec le « chiffre noir de la délinquance ». Les crimes et délits sont en effet publiés chaque mois, mais il s’agit de ceux enregistrés et non ceux commis : les vols sont par exemple souvent déclarés, mais c’est moins le cas des agressions sexuelles. Ces données publiées sont d’ailleurs d’abord le reflet des activités de la police / gendarmerie : si la lutte contre la drogue devient la priorité, les contrôles vont augmenter et il est probable que les arrestations et prises soient en effet plus nombreuses. Pour autant, cette activité aura-t-elle augmenté, ou est-elle simplement davantage contrôlée ? D’autant que certaines activités sont plus facilement faciles à identifier, et sont plus souvent la priorité (la lutte contre la drogue plutôt que contre le blanchiment).
  • Les chiffres doivent par conséquent être resitués dans un contexte politique et de société : qui me présente ces données, que cherche-t-il à montrer et dans quel but ?
  • Reprenons l’exemple d’une donnée en lien avec la délinquance. Le message est ici clairement énoncé : « le gouvernement lutte contre l’insécurité ». L’interlocuteur l’est aussi : il s’agit du Ministre de l’intérieur d’alors. Si les données ici visibles ne sont pas sourcées, on peut les retrouver sur le site ministériel. Pour autant, le commentaire doit être nuancé : on perçoit certes une légère baisse entre 2017 et 2018, mais la valeur est ensuite stable. Le nombre de cambriolages diminue clairement enfin entre 2019 et 2020 : il s’agit toutefois de l’année de la pandémie, où les gens étaient confinés chez eux.

Le chiffre ici utilisé n’est donc pas faux (et les cambriolages ont effectivement un peu diminué en début de quinquennat), mais il sert surtout à faire passer un message, à justifier de l’action d’un gouvernement. 

Ne pas prendre les données pour argent comptant

  • Ce qui est valable pour les politiques l’est aussi pour d’autres acteurs, plus ou moins médiatiques. Par exemple, l’association des chasseurs de France publie des données relatives au nombre d’accidents de chasse annuels, des données (que l’on retrouve sur le site du Ministère de la transition écologique) comparées à d’autres activités sportives comme la natation. Il s’agit ici de montrer que la chasse n’est pas une activité à risque, tout du moins moins que ne le sont d’autres activités. Sans être fausses, ces données omettent d’une part de comparer la population pratiquante de chacune des activités (il y a donc d’autres informations à prendre en compte) ; d’autre part d’indiquer que les accidents de la majorité des autres activités impliquent le pratiquant uniquement, tandis que ceux relatifs à la chasse implique un tiers.

Une fois encore, il apparaît nécessaire de prendre le temps d’analyser le contexte, l’interlocuteur, et ce que les données disent et ne disent pas.

  • Si la représentation graphique aide à transmettre un message (cf. fiche 3), elle peut aussi déformer la réalité. Il convient donc d’être attentif à l’ensemble des éléments d’un graphique, et non seulement aux aires ou aux valeurs : un graphique sans valeurs, sans source, sans note de lecture ne permettant pas au lecteur de savoir de quoi il s’agit est un mauvais graphique, invitant à douter de sa véracité (tout du moins à la questionner).
  • Dans le graphique ci-dessus, relatif au mouvement de mobilisation contre le projet de réforme de la SNCF, si l’on se fie uniquement à l’aire du graphique, une majorité des interrogés semble s’opposer à cette mobilisation. Or, s’ils sont proportionnellement les plus nombreux, ils ne sont pas majoritaires (48%) : la surface associée n’est pas la bonne, invitant le téléspectateur à croire que les répondants sont principalement contre.

Notons également la présence de 15% d’indifférents, à ne pas négliger dans l’analyse en lien avec une des remarques précédentes.

  • Même son de cloche dans le graphique ci-dessous, relatif au même mouvement, mais issu cette fois-ci de la SNCF (et non d’une chaîne de télévision) et traitant du taux de participation à la grève. Le premier graphique laisse penser qu’il y a eu une chute importante du pourcentage de gréviste entre le 13 et le 18 avril (de plus de moitié), diminution qui existe, mais qui est inférieur à 3 points de pourcentage. L’entreprise essaie ici -en partie- de rassurer ses usagers sur l’impact de la mobilisation pour éviter une baisse de la demande et une hausse des insatisfactions.

Ces exemples ne sont pas les seuls. Ils vous invitent encore une fois à toujours être attentifs à l’émetteur du message, au contexte dans lequel la donnée est transmise, et aux informations qui l’entourent. Analyser une information chiffrée ne peut se faire en quelques secondes, et nécessite bien souvent de faire preuve d’esprit critique et de croiser les sources.

Pour aller plus loin

Sur la construction sociale des chiffres :

Henneguelle A. & Jatteau A., 2021. Sociologie de la quantification, La Découverte, Paris, 128 p.

Desrosières A., 2014. Prouver et gouverner. Une analyse politique des statistiques publiques. La Découverte, Paris, 256 p.

Sur les sondages et l’opinion publique :

Blondiaux L. (1997), Ce que les sondages font à l’opinion publique, Politix, vol. 10, 37, p. 117-136.

Jayet C., Bagur T., Touzet H., 2020. Sociologie de l’opinion publique, PUF, 276 p.

Une chaîne YouTube avec un retour réflexif sur ce que peut faire la donnée chiffrée :

Une vidéo relative à la compréhension des statistiques de l’INSEE : qui décide des données, comme sont-elles collectées, etc. Plusieurs autres vidéos sont disponibles sur la chaîne de l’organisme.